Jacques Le Goff et l'histoire nationale
l'oeuvre de Jacques Le Goff
plaide contre la pétition qu'il a signée
Michel RENARD
Neuf historiens ont signé une tribune dans Libération (21 octobre) contre le projet "dangereux", selon eux, d'une Maison de l'histoire de France annoncé par Nicolas Sarkozy en septembre. Ils dénoncent "une histoire centrée avant tout sur l'État-nation et les grands hommes, à la recherche de l'âme et des origines de la France".
Parmi ces signataires
se trouve le célèbre médiéviste Jacques Le Goff. Comment Jacques Le Goff a-t-il pu approuver ce
texte alors qu'il y a quelques temps encore il affirmait : "la France doit
valoriser son histoire" (entretien accordé à l'hebdomaire protestant Réforme en
2007) ? http://www.reforme.net/dossiers.php?id=3.
Il y dit encore : "C’est dans cette histoire et ce cadre que se situe la question de l’immigration" ; ou encore : "L’école reste la clef pour retisser le corps social et le sentiment national".
Dans le dictionnaire La Nouvelle histoire (1978) qu'il dirige, Jacques Le Goff signe
lui-même la notice "l'histoire nouvelle" où il explique que "la France
est le seul des pays modernes à avoir une tradition historiographique ancienne
et continue, liée aussi bien aux centres du pouvoir politique et idéologique
(monarchie, Église) qu'à l'évolution sociale (histoire nobiliaire, histoire
bourgeoise) et à la formation précoce du sentiment national entre le XIIe et le
XIVe siècle" (p. 227). Pourquoi ne pas adosser à ces affirmations la philosophie de la Maison de l'histoire de France...?
L'État-nation est une réalité historique française admise par toute l'école historiographique nationale depuis l'École des Annales (Marc Bloch et Lucien Febvre) jusqu'aux Lieux de mémoire de Pierre Nora et aux travaux de Colette Beaune (Naissance de la nation France, 1985) ou ceux d'André Burguière et Jacques Revel (Histoire de la France, 1989-1993).
En rendre compte n'a rien d'illégitime intellectuellement. On peut exposer l'histoire nationale sans la noyer dans l'histoire européenne ni dans l'histoire mondiale (mais pas sans les ignorer non plus, évidemment) comme voudraient nous en convaincre les pétitionnaires militants.
Aujourd'hui, les
historiens qui pétitionnent ne font que de la politique étroitement partisane –
c'est leur droit – mais ils violent aussi un héritage historiographique
qu'ils n'ont jamais démenti scientifiquement.
Michel RENARD