réponse à Mustapha Kharmoudi
Michel RENARD
Désolé de
vous le dire, votre texte [reproduit ci-dessous] est dominé par un sentiment de paranoïa qui, à mon,
sens, n'est pas justifié.
Que des débordements
condamnables - et condamnés - s'expriment dans le débat sur l'identité
nationale est évidemment regrettable mais tout à fait explicable.
Cela fait
quarante ans que toute la classe politique française – ce qui n'est pas le cas
de la marocaine… - a déserté la référence à la symbolique nationale, l'a même
stigmatisée comme le fourrier du racisme, et en a confiné le maniement au seul
Front National.
Le
sentiment d'attachement national, en France ou au Maroc, est parfaitement légitime
- j'évoque ces deux pays puisque vous vous identifiez comme franco-marocain.
L'avoir injustement discrédité condamnait à des résurgences incriminables….
mais épiphénoménales.
Il ne
faudrait pas saisir ce prétexte pour déserter le débat de fond : pourquoi
l'affirmation d'une identité nationale est-elle licite au Maroc (et partout
ailleurs) mais prohibée en France ? En tant que franco-marocain, n'y a-t-il pas
là une disparité qui heurte votre conscience ?
Vous-même
semblez avoir du mal à vous situer intellectuellement dans ce débat. Il faut, à
tout prix, que vous prêtiez à ses initiateurs les signes du racisme, ce qui
permet évidemment de les condamner sans difficulté. Pourquoi, par exemple, évoquer
une "espèce" de citoyens ? Personne, au gouvernement, n'a
"racialisé" l'identité nationale. Ainsi, Rama Yade, en novembre
dernier, déclarait à France Info : "L’identité nationale ne veut pas dire
la pureté raciale, sinon je ne ferais pas partie de ce gouvernement."
Pourquoi
faites-vous semblant de croire que Sarkozy a appelé "racailles" tous
les jeunes d'origine maghrébine…? Ce qui n'est pas le cas. Mais comment
appelez-vous donc des individus qui transforment des cités en champs clos de
trafic de drogue, qui tendent des guets-apens à la police ou aux pompiers et
qui finissent par tirer à l'arme de guerre sur les forces de l'ordre ? Vous
vous sentez la moindre accointance avec des gens de la sorte ? Moi, quelle que
soit leur "origine", je pense effectivement qu'il s'agit de
"racailles".
allez-vous renoncer à votre identité
marocaine du fait de
la politique migratoire menée par Rabat ?
À partir
d'aujourd'hui, dites-vous, "je cesse de défendre mon identité française".
Pourquoi ? Parce que la France n'est pas parfaite ? Parce que la France tente
de mener une politique migratoire qui ne relève pas seulement de la compassion
aveugle ? Je vous demande : allez-vous renoncer à défendre votre identité
marocaine du fait de la politique migratoire menée par les autorités de Rabat ?
Les Maliens souhaitant gagner l'Espagne, pourchassés par les gendarmes
marocains, refoulés dans le désert à l'aide de moyens anti-émeute et d'hélicoptères,
blessés et affamés… cela ne constituerait-il pas une bonne raison pour vous
octroyer une "objection de conscience identitaire marocaine" ?
Quant à
l'islam, personne au gouvernement, ne dit qu'un "fossé infranchissable sépare
les bons Français de (vous) autres les métèques, les «musulmans»" comme
vous le prétendez. Toujours cette exagération anti-raciste…
Maintenant,
il faut être clair : ne croyez-vous pas qu'il y a dans les milieux musulmans
issus des organismes internationaux du type Frères Musulmans ou inféodés aux
cheikhs salafistes, des stratégies de confrontation avec les valeurs de la République,
avec les valeurs de la culture française, avec les grands acquis de l'émancipation
individuelle : égalité homme/femme, liberté de conscience, liberté
d'expression, sécularisation de la société…?
Personne
ne dit sérieusement "qu’un jeune français de confession musulmane est un être
à part, un être dangereux, asocial", sauf dans votre pensée victimaire.
Cette "France raciste" que vous refusez n'existe pas. Mais vous ne
ferez pas avaler à la conscience française – "celle des Lumières, de la
grande Révolution française, celle de la résistance et celle qui a combattu l’esclavage
et le colonialisme" - qu'elle doit sacrifier ce qu'elle est pour que les
exigences obscurantistes des fondamentalistes musulmans aient libre droit
d'expression (voile à l'école, burqa, traitement séparés pour les musulmans
dits "pratiquants", etc…).
La paix
civile repose entre autre sur la sécularisation et la laïcisation de l'espace
publique. Comme les autres religions, l'islam doit se laïciser, ce qui ne veut
pas dire renoncer à être lui-même mais renoncer à bénéficier d'un traitement spécifique.
Il doit apprendre à vivre avec les autres et non à côté des autres. Là-dessus,
vous gardez un étrange silence. Or, il y va bien de l'identité nationale française.
Mais vous
persistez dans la caricature en prétendant que Sarkozy parlerait d'une catégorie
de Français en invoquant "les nôtres", ce qui vous autoriserait par
contrecoup à dire "les miens"… En vérité, vous restez prisonnier de
la grille de lecture en place depuis les années 1980 : le seul clivage existant
est celui qui séparerait les racistes des antiracistes…! Vous n'êtes pas
capable d'assumer une confrontation sur la question de l'identité nationale
française sans faire de votre contradicteur un raciste…!
Michel Renard
parler de l'identité française n'est pas raciste
Identité nationale :
Lettre ouverte d’un écrivain franco-marocain au Président Sarkozy
De Mustapha Kharmoudi
Monsieur le Président,
Je ne supporte plus ces dérapages volontaires, ces phrases imbéciles
qui explosent comme des bombes mortelles des bouches haineuses de vos
ministres et de votre entourage.
Je ne suis pas de votre bord
politique, mais j’ai toujours su garder le respect nécessaire à votre
fonction. Maintenant, à vrai dire, je commence moi aussi à éprouver la
même haine à votre égard et l’égard des vôtres... Et pour que les
choses soient dites sans détour et avec la même désinvolture que vos
émissaires en terre FN, votre idée de la France, je n’en veux pas.
Mieux : votre France, je n’en suis pas, je vous la laisse ; gardez-la
pour vous et pour les vôtres, faites-en une réserve pour une seule «espèce» de citoyens à l’exclusion de toutes les «racailles»
envahissantes que nous sommes nous autres.
Pourtant il m’a
fallu du temps pour me sentir membre à part entière de cette belle
aventure qu’on nomme France. Déjà par un apprentissage précoce de la
langue de Molière depuis ma tendre enfance au fin fond de la campagne
marocaine. Ensuite par quarante longues années de vie parmi ce
paradoxal peuple de France : aussi généreux qu’inquiétant.
Mais
aujourd’hui j’en arrive à comprendre les jeunes que vous nommez «racailles» quand ces jeunes sifflaient La Marseillaise. Pourtant à
l’époque cela m’avait offusqué. Oui, je n’en peux plus de courir après
«votre» France, que vos diatribes estampent de devant moi tel un
mirage qui s’éloigne indéfiniment. J’en ai assez de me rapprocher de
gens qui sans cesse jettent le doute sur ma «fidélité française» à
cause de mes origines et de mes supposées croyances. J’en ai assez de
subir l’invective à chaque fois qu’un gouvernement et un président sont
en mal de popularité.
Avec l’âge, je ne crois plus guère que
le temps règlera les choses sans heurts voire même sans violence, vu
que le temps qui passe ne fait qu’aggraver la situation. Alors, autant
jouer franc jeu, si j’ose employer ce terme : à partir d’aujourd’hui,
je cesse de défendre mon identité française. Peut-être vos ministres
xénophobes s’en donneront-ils à cœur-joie et se laisseront aller à plus
d’accusations racistes. Peut-être des mouvements extrémistes (des deux
bords) vont-ils exploiter cette situation. En vérité, cela m’importe
peu dorénavant. Et je vais de ce pas militer pour que nous soyons
nombreux à s’octroyer une certaine «objection de conscience
identitaire».
Monsieur le Président, c’en est trop que vos
discours et ceux des dirigeants politiques en général distillent
impunément et à longueur de médias cette idée venimeuse qu’un fossé
infranchissable sépare les bons Français de nous autres les métèques,
les «musulmans», les «quand il y en a un ça va...», les «non white», les «gris par mariage», «les qui sifflent La Marseillaise»,
enfin toutes ces hordes et les rejetons de ces hordes qui ont fui les
guerres, les dictatures et «toute la misère du monde». Bref, les
impurs voire même les impies d’une France et d’une Europe si
radicalement chrétiennes qu’elles ne sauraient accueillir en son sein
ces turcs musulmans...
Si ce n’était que politique
politicienne, on pourrait se terrer le temps d’une campagne électorale.
Mais vos discours renforcent au sein de la population les comportements
les plus discriminatoires, une discrimination qui met déjà au banc de
la société des pans entiers de la jeunesse «non native», même quand
cette jeunesse est diplômée des fleurons de nos universités. Pour
nommer les choses telles qu’elles sont, vos méthodes ressemblent à s’y
méprendre à quelque stratégie – consciente ou inconsciente -
d’apartheid. Et, à mon niveau, j’ai comme le sentiment que vous savez
ce que vous faites. Quoi qu’il en soit, tout semble illustrer votre
état d’esprit ségrégationniste : votre jeu de petites phrases malsaines
ne nous est-il pas en fin de compte destiné : histoire de nous faire
comprendre que vous êtes de ceux qui sauront nous mettre au pas le
moment venu ? Ne sert-il pas aussi à rassurer les «vôtres» et à les
protéger de toute mixité contagieuse ?
Comme ce pays bascule
de jour en jour dans le repli, je suppose qu’il n’y a aucune raison que
cela s’arrête. Je sais que les nombreuses campagnes électorales à venir
seront autant d’occasions de «nous» vexer, de «nous» humilier, de
nous classer dans la catégorie «non intégrable» malgré «votre»
immense hospitalité française...
Eh ben, soit ! Jouons donc ensemble à
ce jeu vicieux puisque vous semblez y tenir tant. Mais il vous faudra
vous habituer à un changement nécessaire afin que les règles soient
moins «injustes» : nous n’accepterons plus dorénavant votre
injonction à être français selon votre bon vouloir. Non, vous ne
pourrez plus nous sommer d’être ceci ou cela, encore moins sous peine
d’excommunication...
le roi Mohammed VI du Maroc a lancé en octobre 2004
à Rabat la "radio coranique
Mohammed VI", destinée à devenir un
"outil essentiel de l'identité
nationale" marocaine...
Pour ma part, j’affirme ne pas me sentir
français quand je vous entends parler des «miens» avec arrogance et
mépris. À vrai dire, votre façon d’être français me fait plutôt honte.
Non, je ne suis pas de «votre» France, je ne suis pas de cette France
frileuse, repliée sur elle-même, de cette France raciste qui pense
qu’un jeune français de confession musulmane est un être à part, un
être dangereux, asocial. Tout comme hier dans les colonies. Bref, je ne
suis pas de cette France chrétienne avec des relents
collaborationnistes voire même croisés...
Non, Monsieur le
Président, votre France n’est plus la mienne. Gardez-la pour vous et
pour les vôtres. Et parquez ceux qui ne partagent pas votre conception
de la France, cette France qui hait ses jeunes dont le faciès n’est pas
aux normes, cette France qui dresse un mur entre elle et nous autres «
dangereux étrangers ». Oui, c’en est fini de nous prêter à ce jeu
stupide qui consiste à ce que les plus «méchants» de la classe
politique nous insultent et nous vexent pendant que les plus «gentils» nous somment de ne pas crier de peur de réveiller la bête immonde...
Aussi, j’appelle tous ceux qui en ont marre de cet affront à se
rebeller, à se révolter. Je leur demande de crier haut et fort qu’ils
ne sont plus français, en tout cas pas à la manière de ces racistes qui
nous pourrissent la vie par des vexations assassines pour voler
quelques voix à l’abject Le Pen... Je demande à tous ceux qui se
sentent concernés de se mettre en quelque objection de conscience
identitaire.
Éventuellement, nous voudrons bien faire partie
d’une autre France si tant est que nos politiques nous en offrent les
perspectives, la France des Lumières, de la grande Révolution
française, celle de la résistance et celle qui a combattu l’esclavage
et le colonialisme. Oui une France qui saurait respecter chaque
français, quelle que soit son origine, qui le traite à égalité des
droits et des devoirs, sans préjugé et surtout sans cette haineuse
discrimination qui agit en écho à la haine qui transparaît jusqu’aux
cœur même du pouvoir...
Mustapha Kharmoudi
Ecrivain franco-marocain
source : Courrier international
- retour à l'accueil